A l’occasion d’un contentieux classique visant la légalité d’un Permis de Construire accordé en vue de réaliser un immeuble de logements d’habitation et dans lequel bon nombre de moyens avaient été invoqués, le Tribunal Administratif de Grenoble indiquait aux parties qu’un sursis à statuer était susceptible d’être prononcé en application de l’article L 600-5-1 du Code de l’Urbanisme.


Cette disposition, introduite dans le Code de l’Urbanisme par l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 puis modifiée par la Loi ELAN du 23/11/2018, permet au juge, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de l’autorisation critiquée est susceptible d’être régularisé, de sursoir à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation, même après l’achèvement des travaux.


Il s’agit de permettre la régularisation, lorsqu’elle est possible, d’un projet de construction ou d’aménagement faisant l’objet d’une demande d’annulation et pour lequel il apparait que si des moyens d’annulation sont fondés ils sont néanmoins régularisables.

Ce texte évite l’annulation juridictionnelle totale de l’autorisation d’occupation du sol, laquelle était alors suivie d’une nouvelle demande d’autorisation intégrant la ou les régularisations, d’une nouvelle autorisation le cas échéant générant elle-même un nouveau contentieux dont on connait l’effet bloquant.
La mise en œuvre du texte permet de supprimer ces étapes ; le porteur de projet disposant d’un éclairage figurant dans la décision juridictionnelle quant aux points de régularisations possibles et élimine les moyens d’annulation qui ont été rejetés comme étant non fondés ou irrecevables. Le porteur de projet peut donc solliciter une décision modificative prise dans le respect du règlement d’urbanisme en vigueur au jour de la décision modificative.

A titre d’exemple:

« 8. Considérant, en deuxième lieu, que lorsqu’un permis de construire a été délivré en méconnaissance des dispositions législatives ou réglementaires relatives à l’utilisation du sol ou sans que soient respectées des formes ou formalités préalables à la délivrance des permis de construire, l’illégalité qui en résulte peut être régularisée par la délivrance d’un permis modificatif dès lors que celui-ci assure le respect des règles de fond applicables au projet en cause, répond aux exigences de forme ou a été précédé de l’exécution régulière de la ou des formalités qui avaient été omises ; qu’il peut, de même, être régularisé par un permis modificatif si la règle relative à l’utilisation du sol qui était méconnue par le permis initial a été entretemps modifiée ; que les irrégularités ainsi régularisées ne peuvent plus être utilement invoquées à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le permis initial ;

  1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier qu’à la date du permis de construire initial, le terrain d’assiette du projet était grevé d’une servitude d’emplacement réservé par le plan local d’urbanisme intercommunal de la communauté de communes du pays de Wissembourg pour la réalisation d’un parc de stationnement pour poids lourds ; que cette servitude a toutefois été supprimée par une délibération du conseil communautaire de la communauté de communes du pays de Wissembourg du 8 février 2016 portant modification simplifiée du plan local d’urbanisme intercommunal ;
  2. Considérant que si Mme A…soutient que cette délibération serait illégale, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’elle serait intervenue pour un motif étranger aux attributions de la communauté de communes en matière d’aménagement et d’urbanisme ; que le détournement de pouvoir allégué à cet égard n’est pas établi ;
  3. Considérant que la délivrance ultérieure, par arrêté du 30 mars 2016, d’un permis modificatif sur le fondement du plan local d’urbanisme intercommunal modifié a régularisé l’illégalité qui entachait le permis initial, résultant de la méconnaissance de la destination assignée à l’emplacement réservé en vue du stationnement des poids lourds ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le permis de construire litigieux aurait été délivré en méconnaissance des dispositions du plan local d’urbanisme intercommunal relatives à l’existence et à la destination d’un emplacement réservé sur le terrain d’assiette du projet ne peut plus être utilement invoqué à l’appui des conclusion dirigées contre le permis initial»

Conseil d’État, 2ème – 7ème chambres réunies, 07/03/2018, 404079

Le jugement du Tribunal Administratif de Grenoble prononcé le 28/03/2022 reste particulièrement intéressant car le Tribunal fait application de l’article L 600-5-1 du Code de l’Urbanisme mais constate dans la même et seule décision que les deux irrégularités relevées au regard du Plan local d’Urbanisme en vigueur au moment de la délivrance du Permis de Construire étaient régularisées par le règlement du Plan local d’Urbanisme Intercommunal approuvé entretemps.
Ainsi

  • L’emplacement réservé initial, malgré le renoncement à acquérir du conseil municipal, s’agissant de la première irrégularité relevée, ne figurait plus au Plan local d’Urbanisme Intercommunal devenu applicable à la date à laquelle le Tribunal Administratif examinait et jugeait l’affaire.
  • La comptabilisation des places de stationnement, s’agissant du second motif d’annulation retenu, avait fait l’objet d’une précision au Plan local d’Urbanisme Intercommunal indiquant que le nombre de places exigées devait être arrondi à l’entier le plus proche ; validant ainsi le projet autorisé.
    Le jugement précise que « ainsi que la commune de XXX le fait valoir dans son mémoire du 9 mars 2022, enregistré en réponse à la lettre du tribunal du 4 mars 2022 informant les parties de la possibilité pour le tribunal de surseoir à statuer en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, que les vices relevés aux points 36 et 39 apparaissent d’ores-et-déjà susceptibles d’être régularisés dès lors que, à la date à laquelle le tribunal statue, le PLU de Vif a cessé d’être applicable sur le territoire communal.»
    Le jugement retient qu’à la date à laquelle il est statué sur le Permis de Construire litigieux les deux moyens retenus sont régularisés par le Plan local d’Urbanisme Intercommunal et rejette le recours en annulation, sans qu’il soit besoin, avant dire droit, de surseoir à statuer.

Le Conseil d’Etat dans un Arrêt en date du 3 juin 2020, n° 420736, retenait que:
« 10. Ces dispositions (L600-5-1 ) permettent au juge, lorsqu’il constate qu’un vice entachant la légalité du permis de construire peut être régularisé par un permis modificatif, de rendre un jugement avant dire droit par lequel il fixe un délai pour cette régularisation et sursoit à statuer sur le recours dont il est saisi. Le juge peut préciser, par son jugement avant dire droit, les modalités de cette régularisation. Un vice de procédure, dont l’existence et la consistance sont appréciées au regard des règles applicables à la date de la décision litigieuse, doit en principe être réparé selon les modalités prévues à cette même date. S’agissant des vices entachant le bien-fondé du permis de construire, le juge doit se prononcer sur leur caractère régularisable au regard des dispositions en vigueur à la date à laquelle il statue et constater, le cas échéant, qu’au regard de ces dispositions le permis ne présente plus les vices dont il était entaché à la date de son édiction. »

L’avancée ainsi réalisée, probablement au bénéfice de la modification dans la rédaction du texte de l’article L600-5-1 du Code de l’Urbanisme par la loi ELAN (supprimant la mention de la régularisation par la voie du Permis de Construire modificatif et la remplaçant par « acte susceptible d’être régularisé ») permet de simplifier la solution du contentieux mais semble placer l’examen de la légalité de la décision critiquée au règlement en vigueur à la date à laquelle statue le Tribunal.

En réalité le juge examine la légalité de l’autorisation de construire selon les principes habituels et en vertu du règlement en vigueur puis examine la régularisation du Permis de Construire à l’aune du règlement en vigueur à la date de sa décision, ce qui reste conforme aux principes de droit en vigueur puisqu’il s’agit de peser la légalité de la future décision qui sera rendue en application du règlement en vigueur à la date de son édiction.

Cette jurisprudence met en évidence l’évolution des méthodes d’approche et des réponses apportées aux contentieux dont on connait la longueur, les effets et les coûts ; illustrant une fois encore le pragmatisme du juge.

Par Michel FESSLER, Avocat associé