Le Pôle Public du cabinet a obtenu une décision favorable et particulièrement bien motivée pour un client devant la Cour administrative d’appel de Nancy.
En août 2017, une SCI concluait devant notaires un bail en l’état futur d’achèvement (BEFA) avec un centre hospitalier. Le bail prévoyait la location à l’établissement hospitalier de deux bâtiments A et B existants et d’un bâtiment C à construire, d’une durée initiale de 15 ans et comprenant une option d’achat à compter de la douzième année. Le bail n’avait pas fait l’objet de mesures de publicité et de mise en concurrence.
Après livraison, le centre hospitalier a soudainement refusé d’honorer ses obligations pécuniaires, excipant de manquements à ces obligations de publicité et de mise en concurrence. Selon l’administration, le litige ne pouvait pas se régler sur le terrain contractuel eu égard à ces manquements.
Le juge des référés est saisi sur le fondement du référé-provision. Le Tribunal administratif rejette la requête de la SCI. Cette dernière interjette appel. Il est jugé :
[…]
3. Lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l’exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel. Ainsi, lorsque le juge est saisi d’un litige relatif à l’exécution d’un contrat, les parties à ce contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation, ni le juge le relever d’office, aux fins d’écarter le contrat pour le règlement du litige. Par exception, il en va autrement lorsque, eu égard d’une part à la gravité de l’illégalité et d’autre part aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat.
– En ce qui concerne le contenu du contrat :
4. Le contenu d’un contrat ne présente un caractère illicite que si l’objet même du contrat, tel qu’il résulte des stipulations convenues entre les parties qui doivent être regardées comme le définissant, est, en lui-même, contraire à la loi, de sorte qu’en s’engageant pour un tel objet, le cocontractant de la personne publique la méconnaît nécessairement.
5. Le contrat dont la SCI X demande l’exécution, s’il comprend une période de travaux avant la mise à disposition des biens au centre hospitalier Y, est un contrat de location pour 15 ans -sauf option d’achat à l’issue d’une période de 12 ans – d’immeubles que le bailleur se charge d’aménager et dont il reste propriétaire. Aucune disposition législative n’interdit à une collectivité publique de souscrire un tel contrat et de s’engager ainsi au paiement d’échéances de loyer pendant la durée du contrat, lesquelles ne constituent, au demeurant, pas un paiement différé tel que proscrit par l’article 60 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015, ni ne révèlent un contrat de partenariat, interdit, pour les établissements hospitaliers, par l’article 71 de la même ordonnance.
– En ce qui concerne la procédure de passation du contrat
6. Ainsi que cela a été mentionné au point 1, le contrat litigieux ne se limite pas à la location d’un bien immobilier, mais comprend, pour la période précédant la mise à disposition du bien, des travaux de construction et d’aménagement destinés à répondre aux besoins définis par le centre hospitalier Y, selon un programme fonctionnel établi par lui. A ce titre, il entre dans le champ d’application des dispositions de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 et du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016, qui soumettent, en principe, les marchés de travaux à des obligations de publicité et de mise en concurrence.
7. Il n’est pas contesté en l’espèce que la conclusion du contrat n’a été précédée d’aucune formalité de publicité ou de mise en concurrence. Si la SCI X se prévaut des dispositions de l’article 30 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 aux termes desquelles : « I. – Les acheteurs peuvent passer un marché public négocié sans publicité ni mise en concurrence préalables dans les cas suivants : (…) 3° Lorsque les travaux, fournitures ou services ne peuvent être fournis que par un opérateur économique déterminé, pour l’une des raisons suivantes : (…) b) Des raisons techniques. Tel est notamment le cas lors de l’acquisition ou de la location d’une partie minoritaire et indissociable d’un immeuble à construire assortie de travaux répondant aux besoins de l’acheteur qui ne peuvent être réalisés par un autre opérateur économique que celui en charge des travaux de réalisation de la partie principale de l’immeuble à construire ; (…) », il ne résulte nullement de l’instruction, même si l’offre foncière était rare, qu’elle ait été le seul opérateur à même de répondre aux besoins du centre hospitalier Y du fait de raisons techniques telles que prévues par ces dispositions.
8. Aucune autre disposition ne permettait d’exonérer le centre hospitalier Y de son obligation de mise en concurrence préalable. Toutefois, il ne ressort d’aucune pièce du dossier que cette méconnaissance des règles de passation puisse être regardée comme un vice d’une gravité telle que le juge doive écarter l’application du contrat. De même, les circonstances dans lesquelles cette irrégularité a été commise, dont l’examen, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier, relève de l’office du juge des référés lorsque celui-ci estime que le vice touchant aux règles de passation n’est pas d’une gravité telle qu’il lui faille pour ce seul motif considérer la créance comme sérieusement contestable, caractérisées par la rareté des biens immobiliers susceptibles de répondre aux besoins exprimés par le centre hospitalier, et la coïncidence entre ces besoins et les biens dont la SCI X était propriétaire, ne justifient pas que le règlement du litige ne puisse être opéré sur le fondement du contrat.
– En ce qui concerne l’existence d’autres vices d’une particulière gravité :
9. Aucune pièce du dossier ne justifie de l’existence d’un délit de favoritisme, commis par le centre hospitalier et susceptible de constituer un vice d’une particulière gravité affectant son consentement et lui permettant en conséquence de s’opposer à l’exécution du contrat.
10. Les modalités financières prévues, soit un loyer de 182 000 euros par an, augmenté d’un surloyer de 31 852,80 euros par an les 10 premières années, ont été soumises pour avis le 18 mai 2017 à la direction départementale des finances publiques de l’Isère, qui a fait savoir par courrier du 17 juillet 2017 que ces montants n’appelaient pas d’observation particulière, sans se prononcer sur la valeur de l’option d’achat compte tenu de l’incertitude du marché à 12 ans. Cet avis mentionne dans son point 7 que la valeur locative est déterminée par comparaison avec les références d’autres transactions effectuées sur le marché immobilier pour des biens présentant des caractéristiques et une localisation comparables à celle du bien expertisé. Pour faire valoir que le coût du contrat serait excessif, le centre hospitalier compare le montant cumulé des loyers pendant 15 ans, augmenté de la valeur de rachat prévue au cas de levée de l’option, à celui que la SCI X était autorisée à emprunter selon ses statuts constitutifs, augmenté d’un apport de 100 000 euros, sans se référer à la valeur du marché locatif. Cette comparaison, si elle démontre la réalisation par la SCI d’un investissement qu’elle serait susceptible de rentabiliser sur une durée moins longue que celle du bail, ne fait pas pour autant apparaître que le centre hospitalier se serait exposé à une charge excessive au regard de la valeur locative du bien, dans des conditions constituant un vice du consentement.
11. Il résulte de ce qui précède qu’en l’absence d’illicéité de l’objet du contrat liant le centre hospitalier de Y à la SCI X ou de vice d’une particulière gravité affectant notamment les conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, le litige portant sur la demande de provision formulée par la SCI appelante peut être réglé sur le terrain contractuel.
12. Il n’est pas contesté que le centre hospitalier Y n’a pas pris possession des locaux que la SCI avait achevés en décembre 2018 et n’a procédé à aucun règlement procédant de l’application du contrat depuis le 26 octobre 2018. Dès lors qu’il y a lieu de faire application du contrat, l’existence d’une créance de la SCI X n’est pas sérieusement contestable. Par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner la régularité de l’ordonnance attaquée, la société requérante est fondée à soutenir que c’est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande de provision dont elle l’avait saisi.
13. Il appartient à la cour, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, de se prononcer sur le montant de la provision.
Sur le montant de la provision :
14. Dans le dernier état de ses écritures, la SCI X sollicite le versement d’une provision de 493 277,65 euros correspondant à l’application du contrat. Le centre hospitalier Y ne conteste ce montant qu’en tant qu’il inclut le paiement du surloyer.
15. Le contrat fondant la créance stipule qu’un surloyer représentatif du coût des travaux d’aménagements des bâtiments A et C de 31 852,80 euros par an, sera versé pendant 10 ans à compter de la livraison du bâtiment C. Selon les stipulations du contrat, la livraison intervient lors de la prise de possession, après constatation contradictoire de l’achèvement donnant lieu à l’établissement d’un constat d’huissier. Le contrat ne prévoit aucune faculté pour le preneur de refuser de constater l’achèvement, et ne prévoit de possibilité de refuser l’entrée dans le bâtiment C que dans l’hypothèse où l’état des lieux contradictoire ferait apparaître qu’il ne serait pas dans un état lui en permettant l’usage défini au contrat. Dans ces conditions, le centre hospitalier, qui était tenu d’exécuter les engagements qu’il avait souscrits, et ne pouvait, ni refuser de constater l’achèvement, ni refuser de prendre possession du local, était également tenu au paiement du surloyer.
16. Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le centre hospitalier Y doit être condamné à verser à la SCI X une provision de 493 277,65 euros.
A rapprocher de :
la commune de Montpellier soutient que c’est à tort que le juge des référés de premier ressort s’est abstenu de relever d’office le moyen d’ordre public tiré de la nullité du contrat d’affermage dès lors que ce dernier a été conclu sans procédure de publicité et de mise en concurrence ; que ce moyen n’est pas, en l’état de l’instruction, susceptible de faire regarder ledit contrat comme entaché d’un vice de nature à entraîner sa nullité.
CAA Marseille, 26 juillet 2013, commune de Montpellier : n°12MA03559).
Prudence toutefois, l’arrêt de la Cour fait l’objet d’un pourvoi.
CAA Nancy, 18 novembre 2020 : n°20NC02103