La présente note vise à informer nos clients (syndicats, CSE notamment) sur les conséquences que l’épidémie de Covid-19 et les décisions gouvernementales récentes peuvent avoir sur l’exécution des contrats de travail et l’exercice, par les IRP (essentiellement le CSE) de leurs prérogatives.

Au besoin, cette note sera actualisée, mais vise à répondre aux premières questions qui nous ont été remontées.

Le secteur du travail temporaire sera plus particulièrement traité compte tenu des décisions de certaines directions d’entreprises qui posent problème dans ce secteur, les développements relatifs au contrat de mission intérimaire (pour ce qui concerne le contrat de mission dit « classique » hors contrat de travail à durée indéterminée intérimaires ou CDII) étant transposables au contrat à durée déterminée de droit commun.

1- L’incidence sur l’exécution des contrats de travail et sur les conditions de leur rupture

Comme le Gouvernement l’a annoncé, l’épidémie de Covid-19 a conduit à la fermeture de certains commerce jugés « non-essentiels ».

Dès lors, l’ensemble des contrats de travail des salariés employés par ces entreprises, quel que soit le statut des salariés qu’elles emploient, ne peuvent plus s’exécuter.

En ce qui concerne les CDI classiques, cela doit conduire en dehors d’une procédure collective de redressement ou de liquidation judiciaire qui pourrait affecter l’entreprise plus ou moins rapidement, au placement des salariés en activité partielle (ou chômage partiel) permettant la perception de la majeure partie du salaire net. Le niveau de prise en charge des salaires par l’État interdirait à tout employeur de procéder à des licenciements pour motif économique sans avoir eu recours à cette mesure d’économie substantielle.

La situation est plus délicate concernant les contrats de travail temporaire et les CDII.

En ce qui concerne le contrat de travail temporaire classique, si l’activité de l’entreprise peut se poursuivre, rien ne peut justifier l’arrêt brutal de la mission et l’absence de paiement du salaire jusqu’au terme prévu. Le motif économique lié à la baisse de l’activité de l’entreprise ne peut pas, à notre sens, justifier l’arrêt de la mission dans la mesure où l’entreprise ne serait pas fermée à la suite d’une décision de l’autorité administrative. Le « fait du prince » ou la force majeure ne pourraient pas à notre avis être invoqués.

Si l’entreprise utilisatrice a en revanche fermé, suite à la décision du Gouvernement concernant les activités non-essentielles, l’arrêt de la mission peut se justifier par le « fait du prince ».

Nous rappelons à ce stade la définition de cette notion.

Le fait du prince se définit comme un événement ayant un caractère de force majeure causé par une décision arbitraire d’une autorité publique (un embargo par exemple).  Il s’agit de l’intervention de l’autorité administrative, paralysant les possibilités de l’employeur d’exécuter le contrat de travail. Pour que le contrat de travail puisse être rompu, il faut que l’employeur n’ait aucune autre possibilité d’intervenir sur la situation.

Nous rappelons à toute fins que la force majeure est visée comme un cas de rupture anticipée du contrat de mission et du contrat à durée déterminée en général.

En ce qui concerne les CDII, à notre sens, la situation est différente. Lorsque le salarié en CDII n’est plus en mission chez un utilisateur, il doit percevoir alors la Garantie Minimale Mensuelle de Rémunération (GMMR).

Ainsi, le fait d’interrompre la mission du salarié en CDII chez un utilisateur qui fermerait son entreprise ne légitimerait pas pour autant selon nous la rupture pure et simple du contrat, le salarié restant alors lié à l’ETT en vertu du CDII et devant percevoir la GMMR, l’ETT ayant selon nous tout au plus la possibilité de mettre les salariés en CDII en activité partielle.

Il faut à notre avis faire une distinction très importante entre :

  • Les salariés qui sont employés ou mis à disposition d’entreprises qui n’ont pas été fermées suite à la décision gouvernementale d’arrêt des commerces ou activités non essentielles ; les contrats se poursuivent théoriquement sous réserve du recours à l’activité partielle pour les CDI classiques ou les CDII ;
  • Celles qui ont fermé sur décision de leur direction et alors même que la fermeture n’a pas été imposée par le Gouvernement. Dans ce cas, la rupture des contrats de mission ou l’arrêt des missions des salariés en CDII ne pourrait se justifier que par un cas de force majeure lié à l’épidémie elle-même rendant impossible la poursuite de l’activité, et non pas le confinement lui-même qui en ce cas n’a pas été imposé par le Gouvernement d’une manière générale et absolue, les autorités ayant même permis les déplacements lorsque le télétravail n’est pas possible, ce qui signifie que certaines activités non visées par la décision de fermeture émanant de l’autorité administrative peuvent théoriquement se poursuivre.

Pour résumer, et en l’état de l’analyse et de la situation à laquelle le pays est confronté :

  • Le salarié en CDI classique ne peut pas être licencié de manière sèche, aucun motif légal ne le permettant, le salarié pouvant être par ailleurs placé en activité partielle ;
  • Le salarié intérimaire en contrat de mission classique chez un utilisateur fermant son entreprise suite à une décision imposée par le Gouvernement (notamment les commerces non essentiels) peut voir son contrat de mission rompu pour force majeure liée au « fait du prince » ; le salaire ne sera alors pas payé jusqu’au terme prévu ;
  • Le salarié en CDII voyant sa mission interrompue en raison de la fermeture de l’entreprise utilisatrice imposée par le Gouvernement peut voir sa mission interrompue chez l’utilisateur mais compte tenu de la spécificité du statut, l’ETT resterait alors débitrice de la GMMR, quitte tout au plus à placer le salarié en activité partielle ;
  • Le salarié en contrat de mission ou en CDII ne peut pas voir sa mission chez l’utilisateur interrompue sans paiement du salaire jusqu’au terme de la mission, dans la mesure où l’entreprise n’est pas visée par une décision de fermeture émanant du Gouvernement ; le recours à la notion de force majeure pour justifier l’arrêt de la mission et l’absence de paiement du salaire jusqu’au terme ne serait pas à notre sens justifié.

Nous précisions qu’en l’état, rien n’autorise les employeurs à procéder à des entretiens préalables au licenciement des salariés en CDI ou CDII par visio-conférence ou pire par téléphone. Aucune disposition légale ou règlementaire ne le permet, pas plus que la notion de force majeure. En effet, le confinement n’étant en réalité pas total puisque la circulation des personnes est permise sous couvert d’une attestation sur l’honneur, et dans la mesure où les mesures dites « barrière » à la propagation du virus peuvent être possiblement respectées, l’entretien physique doit théoriquement avoir lieu si le salarié le demande. Cette analyse est bien entendu livrée sous réserve de l’appréciation qu’auraient les tribunaux si des litiges leur étaient soumis à ce sujet, la mansuétude pour les entreprises risquant d’être grande compte tenu du contexte.

2- En ce qui concerne le fonctionnement des IRP

Le fonctionnement des IRP, compte tenu de la mesure de confinement qui, je le rappelle, est une obligation posée par décret pénalement sanctionnée, va être perturbé évidemment.

Afin d’être efficace, il est clair que compte tenu des circonstances exceptionnelles que nous vivons actuellement, il ne sera pas possible de contester le recours à la visio-conférence lorsqu’elle sera possible.

Ainsi, en l’état des décisions gouvernementales, il est clair qu’il ne sera pas possible d’empêcher les directions des entreprises de recourir à la visio-conférence puisque la propagation du virus qui doit être limitée autant que possible constituerait incontestablement un motif valable.

Nous rappelons que le recours à la visio-conférence peut être imposée par l’employeur de manière unilatérale dans la limite de trois réunions par année civile en l’état de la législation.

Deux problématiques peuvent se poser à plus ou moins brève échéance :

  • L’insuffisance de moyens matériels permettant une visio-conférence se déroulant dans des conditions optimales : en ce cas, il serait possible de revendiquer le maintien d’une réunion physique pour ceux qui souhaiteraient y participer et se déplacer malgré le risque de contamination, la loi ne permettant pas de procéder par liaison téléphonique par exemple. La force majeure n’étant pas en l’état actuel de la situation sanitaire une notion à laquelle il serait possible de recourir systématiquement, juridiquement, un délit d’entrave pourrait être constitué sous réserve de ce qui sera indiqué ci-après in fine ;
  • La poursuite ou le renforcement du confinement : en ce cas, si le confinement se prolongeait pendant plusieurs mois, ou était renforcé, la généralisation de la visio-conférence au-delà du nombre maximal de réunions prévues par la loi ne serait pas juridiquement de facto fondée, même si dans les faits, il serait alors très difficile de la combattre compte tenu du contexte et des précautions que tout le monde doit prendre pour éviter une aggravation de la crise sanitaire. Il n’est pas à exclure qu’en ce cas un décret vienne temporairement autoriser la généralisation de la visio-conférence ou le recours à d’autres modes de communication pour assurer le fonctionnement des CSE.

Remarque importante : il est évident que les développements faits ci-dessus résultent d’une analyse juridique susceptible d’évoluer en fonction des décisions qui seront prises par le Gouvernement, notamment en cas de renforcement des mesures de confinement, et également en fonction des problématiques que nos clients nous feront remonter.

Nous indiquons par ailleurs que les plaintes pour entraves que certains syndicats ou CSE seraient susceptibles de vouloir engager risquent de recevoir un accueil très mitigé voire hostile de la part des juridictions qui sont elles-mêmes confrontées à des restrictions de fonctionnement drastiques.

Il est évident que le principe de précaution risque de prévaloir sur toute autre considération purement juridique.

— Par Flavien Jorquera – Avocat Associé.