Le 26 février 2020, la chambre sociale de la Cour de Cassation a rendu un arrêt très important en ce qui concerne les pouvoirs de la représentation du personnel des entreprises de travail temporaire (n°18-22.556).
Cette affaire, dans laquelle le cabinet était partie prenante comme défenseur du CHSCT d’un établissement de la société MANPOWER FRANCE, posait le problème des limites des pouvoirs du CHSCT (aujourd’hui la Commission Santé Sécurité des Conditions de Travail du Comité Social et économique) de l’entreprise de travail temporaire de déclencher une expertise en cas de risque grave pour la santé ou la sécurité des salariés intérimaires et ainsi intervenir au sein de l’entreprise utilisatrice.
L’entreprise de travail temporaire faisait valoir qu’admettre une telle prérogative reviendrait à porter atteinte de manière disproportionnée au droit de propriété par rapport à l’objectif poursuivi. Elle soutenait par ailleurs que l’obligation de se préoccuper de la santé et de la sécurité des salariés intérimaires incombe à l’entreprise utilisatrice et non à l’entreprise de travail temporaire (en vertu de l’article L1251-21-4° du code du travail) et que par conséquent, le CHSCT de l’entreprise de travail temporaire ne pouvait pas recourir à une telle expertise.
Nous soutenions, au contraire, que le droit à la protection de la santé et à la sécurité dont sont titulaires les salariés devait prévaloir sur le droit de propriété et que dénier au CHSCT de l’entreprise de travail temporaire le droit de recourir à une expertise pour identifier, mettre un terme et prévenir le renouvellement d’un risque grave serait susceptible d’affaiblir de manière extrêmement préjudiciable la situation des travailleurs temporaires qui constituent déjà par nature une population fragile davantage exposée au risque d’accidents du travail.
Le Tribunal de Grande Instance de Nanterre nous avait donné tort, malheureusement, en faisant sienne l’argumentation de la société MANPOWER FRANCE. Un pourvoi en cassation avait ainsi été décidé.
La Cour de Cassation a cassé le jugement du TGI de Nanterre en faisant prévaloir la position du CHSCT, aux termes d’une motivation mettant en avant à juste titre qu’en cas de défaillance de l’entreprise utilisatrice et de son CHSCT dans la mise en œuvre des mesures vouées à préserver la sécurité et la santé des travailleurs temporaires, le CHSCT de l’entreprise de travail temporaire avait une pleine compétence pour agir, le droit à la protection de la santé devant prévaloir sur le droit de propriété.
Cet arrêt fait incontestablement progresser les droits des travailleurs temporaires par la reconnaissance des prérogatives de leurs représentants, et ne pourra que contribuer à une plus grande vigilance quant aux conditions de travail des intérimaires, mais à la condition, bien entendu, que les représentants du personnel exercent entièrement les pouvoirs que cette jurisprudence de principe consacre à présent.
Cette décision a été publiée sur le site de la Cour de Cassation, avec une note explicative de la Cour qui permet d’aller plus loin dans l’analyse.
Cass. soc., 26 février 2020 : n°18-22556.
https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_sociale_576/245_26_44484.html
https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/notes_explicatives_7002/relative_arret_44485.html